Les contenus de l’«édito» et de la «tribune politique» du dernier Journal de Bord édité par la Collectivité Territoriale ne peuvent pas laisser indifférent le lecteur citoyen.
Dans son éditorial, le président du Conseil Territorial s’inquiète : « Que deviendra l’archipel sans l’apport de l’Europe ? ». Selon M. Artano, l’évolution de son statut privera Saint-Pierre et Miquelon des crédits du Fonds européen de développement. Pour rappel, le FED est destiné à soutenir les projets économiques dans les pays et territoires d’outre-mer (PTOM) de l’Union européenne (UE). Notre archipel fait partie des PTOM de l’UE, et il n’est pas question que cela change. En effet, le passage à la collectivité unique ne remet pas en cause le statut européen de Saint-Pierre et Miquelon. Affirmer que l’archipel serait privé de l’apport financier de l’Europe est donc un mensonge. Que des élus utilisent à ce point la désinformation dans le cadre de leur stratégie politique est indigne. Les citoyens de Saint-Pierre et Miquelon ne méritent pas un tel mépris de la part de leurs gouvernants.
La tribune politique signée par le mouvement Archipel Demain ne laisse pas insensible non plus. Selon le groupe politique, le changement de statut entraînera le naufrage économique de l’archipel. Pour justifier la gravité d’un tel propos, on pourrait s’attendre à ce que des arguments soient employés. En fait, il n’y en a aucun. À la place, il y a la peur et la haine.
Pour vous faire peur, Archipel Demain annonce la vente des ferries, la disparition des bourses allouées aux étudiants ainsi que l’abandon du projet de câble numérique. Votre mobilité, vos moyens de communication, l’avenir de vos enfants sont en jeu… Le message est clair et sonne comme un avertissement : citoyens de Saint-Pierre et Miquelon, si vous votez « oui » lors de la consultation sur le changement de statut, vous provoquerez votre propre ruine. Voilà pour la peur.
Pour attiser la haine et entretenir le doute dans les esprits, Archipel Demain exploite la théorie du complot. La modification du statut actuel serait le fruit d’une conspiration conçue depuis Paris par les « technocrates de salons feutrés » appartenant à « la gauche caviar ». Bien entendu, Annick Girardin – en tant que ministre – serait la complice de cette vaste supercherie : « l’une des nôtres tient le poignard du décès de l’archipel ». Le texte est d’ailleurs truffé de références mortuaires : « décès », « fossoyeurs », « mort »… Des mots qui donnent froid dans le dos. Comment peut-on écrire de telles énormités et accuser Annick Girardin de vouloir la mort de Saint-Pierre et Miquelon ? Est-ce bien sérieux ?
Archipel Demain adopte donc un raisonnement construit autour de la peur et de la haine. Depuis la fin du XIXe siècle, l’extrême-droite utilise ces mêmes ingrédients pour alimenter son discours politique. Ce discours déployé à l’échelle de notre petite communauté ne peut pas laisser indifférent. Car il va à l’encontre des valeurs que nous défendons. Comment peut-on éduquer les valeurs de la République aux futurs citoyens dans le cadre d’un « Conseil territorial des jeunes » tout en développant un discours dont les seules bases sont le mensonge, la peur et la haine ?
En 2005, lors de son installation au Conseil Territorial, c’est avec fierté que le tout jeune nouveau président de la collectivité citait le président démocrate John F. Kennedy. Il proclamait alors haut et fort : « ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays ». Un peu plus de 10 ans plus tard, force est de constater que les nobles idéaux ont cédé la place à des réflexes réactionnaires. La chasse aux sorcières est ouverte. C’est avec impatience que nous attendons le prochain numéro du Journal de Bord. On nous annoncera sans doute que le bûcher est prêt, place de l’église, et que les sorcières et autres croque-morts n’ont qu’à bien se tenir.